http://www.contrepoints.org/2013/12/31/151773-un-collectif-anti-mooc-fausse-alerte-de-noel
Les MOOCs, révolution ou gadget ?
Suivre gratuitement les cours de Harvard ou de la Sorbonne depuis son ordinateur, c’est désormais possible mais pas forcément efficace.
Quel étudiant n’a pas rêvé de suivre un cours magistral sans quitter sa couette ? En trois clics et sans débourser un centime, le rêve est devenu réalité pour des milliers de Français qui participent à un MOOC – prononcez « mouk » ou « mok » pour « massive open online course » –, des formations dispensées gratuitement sur Internet par des universités ou des grandes écoles ; contrairement au e-learning classique, elles sont ouvertes au monde entier, gratuites, sans engagement et non diplômantes. Pour le reste, ça ressemble beaucoup aux formations à distance : des professeurs mettent en ligne des cours et des exercices, sous forme de vidéos, de quiz interactifs ou plus classiquement de documents textes. Les formations durent deux à trois mois et permettent d’obtenir un « certificat de complétion » : ça n’a pas de valeur diplômante, mais atteste que le lauréat a étudié avec assiduité.
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en a ouvert vingt-cinq sur le site France université numérique (FUN), pour la première fois mi-janvier : libre à chacun de suivre « L’introduction aux réseaux mobiles » de l’institut Mines-Télécom, ou le séminaire sur « Philosophie et modes de vie ; de Socrate à Pierre Hadot et Michel Foucault », proposé par l’université Paris‑X. « Quelque 70 000 Français sont d’ores et déjà inscrits », assurait la chargée de mission Catherine Mongenet fin décembre, s’ajoutant aux internautes déjà adeptes du système. Les MOOCs existent en effet depuis plusieurs années. Centrale-Lille a notamment lancé le premier MOOC français délivrant un certificat l’année dernière : « Près de 3 500 internautes se sont inscrits », rapporte le responsable de la formation, Rémi Bachelet. Dans le reste du monde, il y aurait un à trois millions d’inscrits, sur les mooc anglophones essentiellement. « Ces cours intéressent tout le monde, renchérit C. Mongenet, professionnels, retraités… Les étudiants sont minoritaires. » Selon une étude de l’université de Pennsylvanie, la moitié des inscrits travaillent à temps complet, seuls 17 % sont étudiants ; 7 % sont des employés à temps partiel, près de 7 % des retraités, et 6,6 % des chômeurs.
Des butineurs plus ou moins assidus
Une large majorité décroche en cours de route, poursuit R. Bachelet : « À Centrale-Lille, le taux d’abandon habituellement observé est de 50 à 70 %. » Parmi ceux qui restent jusqu’au bout, en revanche, plus ou moins deux tiers valident les examens. Selon Matthieu Cisel, qui prépare une thèse sur les MOOCs à l’ENS-Cachan, le constat se vérifie un peu partout. Sur Coursera par exemple, seuls 10 % des inscrits valident l’examen en moyenne. « Le record y est détenu par un cours de programmation informatique : 20 % des 50 000 participants ont obtenu la certification l’hiver dernier. » Plusieurs facteurs expliquent ce décrochage : d’une part, la facilité d’accès et la gratuité engendrent mécaniquement un engagement plus faible. D’autre part, beaucoup d’inscrits travaillent ou étudient par ailleurs, et se rendent compte qu’ils ne peuvent pas tout concilier quand la formation commence. Enfin, si les cours sont gratuits, l’examen permettant d’obtenir un certificat est généralement payant – quelques centaines d’euros pour une validation honorifique, qui ne garantit rien sur le marché du travail… De quoi rebuter beaucoup de candidats.
En outre, nombreux sont les inscrits qui n’ont jamais eu l’intention de passer l’examen. Seuls 13 % des sondés souhaitent « obtenir un diplôme », estime l’université de Pennsylvanie ; environ un tiers cherche à obtenir des compétences spécifiques pour « mieux faire son travail », tandis que la moitié des utilisateurs s’inscrivent « par curiosité » ou « pour le fun ». « La majorité utilise le cours à la manière d’une émission de télé ou d’une série », confirme M. Cisel. Ça n’est pas un hasard, en effet, si les mooc ont émergé en même temps que le Web 2.0, au début des années 2000 ; les internautes s’inscrivent à un MOOC de physique quantique comme ils écoutent une conférence de Stephen Hawking sur Youtube ou corrigent l’article Wikipédia qui lui est consacré. Ça leur permet de partager une passion ou d’acquérir des notions. Et s’ils ne vont pas au bout de la formation, ils auront au moins entendu parler de tel ou tel physicien en cliquant sur l’intitulé du cours. Le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron (1) confirme : « Les MOOCs répondent à un désir inhérent à Internet de butiner du savoir et de l’information, sans nécessairement se former au sens scolaire du terme. »
Une pédagogie qui reste à adapter
Pour ces « butineurs », le format universitaire classique n’est pas forcément adapté, poursuit S. Tisseron : « Il faut inverser notre modèle pédagogique : l’élève devrait chercher seul l’information, de manière à ce que le cours devienne un lieu de questions, d’échanges et de débats. » Cette pédagogie inversée s’inspire de l’esprit « pair à pair » – « peer to peer » – propre au Web, et se retrouve dans les mooc dits « connectivistes » : ce sont les participants eux-mêmes qui apportent leurs connaissances sur le sujet du cours, en dialoguant sur des forums par exemple. Les professeurs, eux, sont chargés de les accompagner, d’animer les échanges, d’indiquer des ressources au besoin, et surtout d’encourager la production de contenus originaux. Cette modification des pratiques peut faire ses preuves : en expérimentant cette méthode dans un cours d’électronique « réel », l’université de San Jose, aux États-Unis, a vu les taux de réussite à l’examen passer de 55 à 91 %. « Un jeune trisomique est même parvenu suivre un cours de niveau master », renchérit C. Mongenet.
L’écrasante majorité des MOOCs reste cependant calquée sur le modèle universitaire classique : les professeurs publient des cours magistraux en ligne, des exercices, et se rendent disponibles pour répondre aux questions des élèves… Rien de révolutionnaire. Selon le sociologue Dominique Boullier, chargé de mission à l’IEP-Paris pour les stratégies numériques, la réorganisation des savoirs et des parcours pédagogiques prendra du temps. « Les formules dominantes aujourd’hui – à base de vidéos, de quiz et de forums… – ne donnent aucun résultat. » Ce qui se profile à moyen terme, c’est le développement de formations courtes pour des filières techniques. C’est du moins le pari que fait Antoine Amiel, cofondateur de Leeaarn, une sorte de mooc dédié aux entrepreneurs : « Il y aura probablement des cours tournés vers l’employabilité et la rentabilité, mais pas de la connaissance avec un grand C. » L’intérêt des mooc pour la recherche fondamentale en sciences humaines, par exemple, est loin d’être évident.
Faire ses études en ligne ?
Pour M. Cisel, en revanche, les MOOCs pourraient tout à fait permettre de faire des études au long cours. « L’un des principaux freins à leur développement est le fait qu’ils restent en marge du système universitaire. » Tant que les certificats n’auront pas de valeur diplômante, notamment, les internautes privilégieront des études classiques et mieux reconnues sur le marché du travail. Selon C. Mongenet, le ministère cherche comment offrir une meilleure reconnaissance à ces formations : « Les universités sont partantes, assure-t-elle, mais elles ne savent pas comment faire. » La principale option envisagée actuellement consiste à intégrer les MOOCs dans des cursus classiques plus généraux. « Ce serait une brique dans un parcours pédagogique », explique-t-elle. Un outil au même titre que la bibliothèque ou le tutorat par exemple.
Apprendre grâce au MOOC est donc tout à fait plausible, pour peu que l’on en ait le temps et les moyens, mais il semble difficile de considérer aujourd’hui que l’on puisse faire toutes ses études en ligne. « Les MOOCs restent en phase d’expérimentation, analyse D. Boullier : les établissements se lancent pour être sur le coup, mais personne ne sait ce que ça va donner. » Et de rappeler que de nombreux pédagogues ne juraient que par l’e-learning dans les années 1990, avec les cours en ligne et la télé éducative par exemple, jusqu’à ce que le mouvement retombe comme un soufflet quelques années plus tard. De même, les MOOCs pourraient très bien disparaître dans les cinq ans. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’Internet n’a pas fini de bouleverser les savoirs et la pédagogie.
Fabien Trécourt
http://www.scienceshumaines.com/les-moocs-revolution-ou-gadget_fr_32089.html